Si je pouvais pointer du doigt le mal qui me ronge depuis des années, lui projeter le faisceau concentré de mon entendement en pleine face (en brisant une cravache sur ma cuisse pour l'intimider, ce sont des choses qui se font), le réduire, le concentrer, le cerner en un nom, vous pensez bien que je caracolerai fièrement toute à quelque noble quête au lieu d'épancher mes lamentables hypothèses pseudo psychanalytiques en ce lieu, vous infligeant un énième article en mode « racontage de vie »... Cependant, je crois avoir identifié au moins l'une des têtes de l'hydre qui vomit sa bile noire dans mes entrailles, et oui, je vais vous soumettre une vivisection amateur de ladite bébête pour deux raisons:
_premièrement parce que j'ai le fol espoir que certaines personnes que j'estime, qui ont donné l'impression de me considérer un peu mieux que la larve qu'ils ignorent que je suis, qui m'ont donc proposé des choses dépassant mes plus folles espérances et auxquelles je n'ai jamais répondu, lisent ce blog et que cet article les concerne directement et leur donnerait la raison de mon comportement qui a sans doute semblé à plus d'un un mélange de négligence, de peu d'intérêt, d'ingratitude et de goujaterie assez extrême,
_secondement parce que parlant aux quelques amis auxquels j'ose encore adresser la parole, mon sentiment a souvent eu un certain écho chez eux et que je puis prétendre intéresser plus que moi, je, « elle » « Sadako » et les autres qui se partagent ma conscience, si cela touche ne serait-ce qu'une personne, je serais comblée!
La bête que nous allons éventrer, vider, fouailler sera nommée « agapophobie » j'ai hésité avec « kairophobie » mais pense qu'il s'agit plus d'une peur panique de la bonté pure à mon égard que du bonheur: je n'ai jamais eu aucun problème à accueillir le bonheur à bras ouverts, surtout s'il vient me trouver dans un moment de solitude (et en Allemagne, j'avoue, ça aide, voir les articles à ce sujet; au Japon aussi, c'est assez puissant dois-je dire... pour cela, il faut lire mon autre blog, mais passons) mais je puis également de bon coeur me laisser posséder par lui au sein d'une foule: dans un pogo, avec des amis partagent un enthousiasme vif etc... le bonheur ne m'est insupportable que lorsqu'il m'est « infligé » par une personne faisant preuve d'un sentiment pur à mon égard. Je veux dire par là que si l'on se montre aimable avec moi en attendant de même ou quelque service en retour, j'accepterai sans aucun problème cette démonstration de bienveillance.
J'ai d'abord cru que cette peur panique était due à un problème relationnel éprouvé depuis la plus petite enfance, une incapacité à s'intégrer dans un groupe et donc une « bande d'amis » réduite à une horde épique de héros légendaires et un ou deux camarades IRL, que cette solitude et cette habitude prise d'être rejetée pour mes bizarreries de comportement avait provoqué en moi une terreur de toute approche bienveillante. Mais si j'analyse de plus près mon comportement d'enfant, je m'aperçois que c'est précisément le contraire, j'ai souvenir de deux anniversaires, l'un sans doute vers mes 3 ou 4 ans: alors que j'entrai dans le salon, la nappe d'un turquoise noble et profond, des-esseintiens dirais-je aujourd'hui, les assiettes à dessert de porcelaine ornée, mes préférées entre toutes, les roses, le gâteau promettant les délices sombres et puissants du chocolat amer, mon père dans son uniforme militaire et surtout la musique folklorique qui faisait tout mon bonheur depuis des années m'avaient causé une joie si intense que je n'avais pas pu lui faire face et m'étais réfugiée sous la nappe pour que les ténèbres atténuent l'éblouissement du plaisir. L'autre, pour mes 8 ans, au restaurant de l'hôtel rose du parc Eurodisney, où je trônais en robe rose à smocks de chez Bonpoint au milieu de ma famille. Au loin, un gâteau arrive, escorté par une demi douzaine de garçons et serveuses entonnant un « happy birthday to you » version gospel... ça n'a pas manqué, vlan, sous la table (en grand jupon rose, vous imaginez bien), impossible de m'en faire sortir tant que les jeunes serveurs étaient présents... Cela ressemblerait presque à de la « kairophobie » si je n'avais pas juste avant accepté avec joie les différents plaisirs proposés à une enfant de 8 ans passant un week end à Eurodisney: c'était bien l'amour de ma famille qui m'effrayait à travers sa manifestation matérielle. Je ne pourrais m'avancer à dire que je fuyais l'amitié des jeunes gens de mon âge pour les mêmes raisons, je crois bien plutôt que c'étaient eux qui rejetaient la mienne, ou plutôt moi qui leur en demandait plus qu'il ne pouvaient offrir, ayant une vision « héroïque » de l'amitié des champs de bataille (fortement homoérotique, ce qu'une fillette d'une dizaine d'année ne comprend pas forcément en lisant l'Iliade, mais bon...).
Mais passons aux exemples qui se sont présentés à moi, et que j'ai fui, dès que j'ai été en mesure de fournir un travail intéressant d'autres personnes que mon cercle familial le plus étroit. L'un des premiers projets menés couronné de succès qui attira l'attention sur ma petite personne fut un voyage d'étude en août 2005, j'avais alors 16 ans et partais sac au dos pour un mois et demi en Allemagne pour y faire de la reconstitution médiévale, j'ai écrit un mini-mémoire mis en ligne sur un blog... et fus, une fois rentrée en France, dans l'incapacité totale de répondre à mes amis allemands qui m'envoyaient force tutoriels pour m'accompagner dans ma confection de vêtements et armes, qui m'avaient accueilli chez eux et dans leurs troupes de façon totalement désintéressée. Après avoir tout posté sur ce blog, mis en contact un musée berlinois et le magazine Histoire et Images Médiévale ainsi que fourni un travail de traduction franco-allemand, j'oubliai toutes les coordonnées de ce blog, mot de passe et adresse, tout, alors que les messages de sympathie et les offres de collaboration s'accumulaient dans les commentaires... je ne me suis depuis plus jamais investie sur la scène médiéviste...
Depuis, dans d'autres domaines, j'ai travaillé à me faire des contacts importants, exprimé mon admiration à certaines personnes, ce fut à chaque fois le même manège: dès que ces personnes s'intéressent à moi, me témoignent de la sympathie, je perds systématiquement tous mes moyens et me replie dans le silence et la fuite. La chose allant en s'aggravant, je suis désormais paralysée par ne serait-ce qu'un message de sympathie sur un forum alors que la polémique ne me pose aucun problème: il faut me faire violence pour y répondre (la chose étant plus aisée sur un blog où j'ignore souvent tout de ceux qui me laissent d'aimables commentaires). Pire, plus la faveur que l'on me fait est importante, plus la distance hiérarchique qui me sépare de la personne que j'admire, avec laquelle je me suis pourtant efforcée par tous les moyens d'entrer en contact, est grande, moins je puis répondre à son invitation ou lui témoigner ma reconnaissance. Cette phobie s'exerce sur tous les domaines: rencontres fortuites, personnes célèbres que j'ai réussi à approcher, organisateurs d'événements, autorités politiques etc. et me pousse à m'enfermer de plus en plus, terrée dans l'obscurité de ma chambre où sympathie, considération, estime ne peuvent m'atteindre.
Si j'en suis réduite à ne pouvoir ouvrir les mails que m'envoient des amis japonais, terrifiée par avance par la sympathie qu'ils vont contenir et l'honneur qu'ils me font de me la témoigner; si je contemple avec horreur « 7 nouveaux messages » contenant ceux de personnes dont j'admire l'oeuvre et qui me proposent une collaboration, qui stagnent depuis des mois, accumulant remords, honte et conscience de ma goujaterie qui ne font qu'en interdire encore plus la lecture; si j'ai du disparaître brutalement de trois milieux différents où je commençait à susciter quelque intérêt, la chose est pire encore dans le domaine des sentiments. Certaines personnes me font la faveur immense, du haut de leur expérience, de me témoigner une amitié des plus précieuses, pure, forte et que je chéris plus que tout au monde, et plus mon amitié et mon respect pour elles est grand, moins je peux répondre à leurs messages et sollicitations, plus j'ignore leurs appels, plus je me sens indigne, misérable, honteuse, et moins j'ai le courage de décrocher le téléphone quand s'affiche leur nom, de ne serait-ce que lire le SMS qu'elles m'ont envoyé, et ce cercle infernal me réduit à une terreur pure et simple du téléphone: et si jamais on me voulait du bien! Aaaaaargh, c'est trop épouvantable!
Bien sûr, les sentiments que je voudrais leur témoigner bouillonnent sous le couvercle inébranlable de honte, de mépris de soi et viennent paralyser chacun de mes mouvements. Veux-je mettre de l'ordre dans mes affaires « X, Y et Z se font du souci pour toi, ils se demandent sans doute ce que tu as contre eux, pourquoi tu méprises leurs appels, toi qui n'est qu'un chiot face à eux », veux-je faire ma toilette « A, B et C t'ont proposé tel et tel projet, si tu avais répondu, depuis 5 ans, imagine quelles expériences formidables tu aurait vécu, tout t'es offert sur un plateau, et tu ne saisis rien », veux-je me nourrir « souviens toi de Yusuke, petite idiote qui a fuit alors que la situation était plus idéale que dans 15 séries de shojo manga réunies, souviens toi que tu as négligé le garçon dont tu avais toujours rêvé, il y a 3 ans ».
J'ignore quelle est la mère de ce monstre, est-ce l'orgueil de ne pouvoir accepter aucune faveur de personne? Est-ce la défiance, faisant paraître douteux tout don gratuit? Est-ce un profond mépris de soi qui me persuade de mon indignité de toute considération et toute affection? N'est-ce pas tout simplement un dramatique manque de courage qui me fait me réfugier dans les ténèbres de la solitude quand je suis éblouie par trop de bienveillance, à la Sunako Nakahara?
Vous qui souffrez de la même « agapophobie », si je trouve quelque épée magique pour décapiter sa trogner immonde, et si personne entre temps n'a trop ouvertement témoigné du plaisir qu'il avait à lire ce blog ou proposé quelque collaboration, m'obligeant ainsi à le fermer volontairement, ou à oublier toutes ses référence dans un gigantesque acte manqué, je vous promet s que je partagerai la chose avec vous! (si vous l'avez déjà trouvée, faites en donc de même par commentaire, ça sera bien bath!)
PS: à propos de commentaires, je réponds bientôt...